Bouygues Telecom tente une offensive dans la fibre en sabrant les prix


L’opérateur, parti tard dans le fixe, lance sa première offre commerciale de fibre optique à 26 euros. Mais il ne s’adresse qu’à 1 million de foyers éligibles, à Paris et quelques grandes villes. Cette agressivité commerciale est aussi un signal adressé à la concurrence en pleine recomposition du marché.

Netcom Group ELa guerre du fixe, acte II. Après avoir cassé les prix dans l'ADSL en mars avec un abonnement à 20 euros, soit 10 euros moins cher que le marché, Bouygues Telecom poursuit son offensive en s'attaquant à la fibre. L'opérateur, qui compte 2 millions d'abonnés dans le haut débit où il est entré tardivement, soit deux à trois fois moins que SFR et Free, cinq fois moins qu'Orange, lance sa première offre commerciale de fibre optique le 30 juin à 25,99 euros. « Et ce n'est pas une promotion de 2 ou 12 mois. Bouygues Telecom souhaite changer le référentiel de prix de la fibre, qui est plutôt de 40 voire 49 euros dans la tête des Français » a fait valoir Olivier Roussat, le PDG de Bouygues Telecom, lors d'une conférence de presse ce jeudi.

« Le critère de prix est devenu assez déterminant dans le fixe. On s'en est aperçu quand on a baissé le prix de l'ADSL, ce qui nous a permis d'être leader en conquête de clients au premier trimestre et de réaliser de très bonnes ventes au deuxième trimestre » a souligné le PDG de Bouygues Telecom.

Imposer un nouveau standard ?
La filiale du groupe de BTP saura-t-elle imposer un nouveau standard de prix, comme Free l'a fait dans le mobile ? Les tarifs des abonnements à la fibre jusqu'à l'abonné (FTTH) démarrent en réalité à 33 euros chez SFR et 37 euros chez Orange (hors promotions ramenant à 23 euros chez l'un et 28 euros chez l'autre pendant 12 mois) et les opérateurs multiplient déjà les ristournes (mois gratuits, rabais à leurs abonnés mobiles). Free la propose au même prix que l'ADSL (32 euros avec TV, 38 euros avec les appels vers les mobiles inclus) mais, s'il a lancé la course au déploiement très tôt, en annonçant un investissement d'un milliard d'euros dans la fibre en septembre 2006, il est en fait à peine présent commercialement pour l'instant sur le segment de la fibre : plusieurs dizaines de milliers de clients sur 5,7 millions d'abonnés haut débit. Orange est leader avec plus de 320.000 clients devant SFR (220.000). La fibre est surtout devenue une arme de (re)conquête commerciale, en particulier à Paris et dans les grandes villes, sur une cible plutôt haut de gamme de CSP+.

« Nous voulons libérer le marché du fixe. Il n'y a pas de raison économique objective, pas de prix de revient justifiant de vendre la fibre à 38 euros » a affirmé Olivier Roussat.

Le PDG de Bouygues Telecom assure que l'offre à 26 euros sera « suffisamment rentable », puisqu'il n'a plus à payer les 9 euros de dégroupage à Orange obligatoires pour l'ADSL qui utilise le réseau de cuivre téléphonique de l'opérateur historique. Au vu des comportements des clients à son offre triple-play à 20 euros, l'opérateur estime que son tarif agressif dégage pour les foyers « une marge de manœuvre pour s'abonner à un bouquet de chaînes payantes d'une enveloppe de prix équivalente », se traduisant ainsi par des revenus additionnels.

Seulement 1 million de foyers concernés
Les spécialistes du secteur considèrent que les consommateurs ne voient pas l'intérêt de s'abonner à la fibre si elle est plus chère et qu'ils disposent déjà d'un bon ADSL. L'argument prix de Bouygues peut donc jouer. Mais le marché de la fibre jusqu'au domicile en France reste modeste : 640.000 abonnés à fin mars, soit 19% des plus de 3 millions de logements éligibles selon l'Arcep, le régulateur des télécoms. Problème : la nouvelle offre de Bouygues Telecom ne s'adresse pour l'instant qu'à un million de foyers éligibles, à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nice, par rapport aux 23 millions de ménages français abonnés à l'ADSL. C'est clairement une limite à la portée de cette offensive, l'offre n'étant pas nationale, comme sa Box low-cost à 16 euros chez B&You disponible uniquement dans les zones qu'il a dégroupées, soit environ 12 millions de foyers. Toutefois, Bouygues compte mettre le turbo et étendre son offre fibre à 1,4 million de prises d'ici à la fin de l'année, puis 3 millions dans les deux ans.

Jusqu'à présent, Bouygues proposait du très haut débit en marque blanche sur le réseau de Numericable (il y compte plus de 370.000 abonnés), réseau rénové en fibre optique jusqu'au pied de l'immeuble, la dernière partie restant en câble coaxial (technologie dite FTTLA). Mais la filiale du groupe de BTP veut s'affranchir de ce partenaire, rival victorieux dans la bataille pour le rachat de SFR.

« La fibre ce n'est pas la technologie de demain, mais celle d'aujourd'hui » a déclaré le PDG de Bouygues Telecom, vantant ses atouts par rapport à la technologie du câblo-opérateur « qui ne permet pas les mêmes débits dans le sens montant. »

L'opérateur, qui aurait 20.000 clients à la fibre en test, indique avoir investi 300 millions d'euros depuis 2010 dans le cadre de son accord de co-investissement dans le FTTH avec SFR dans les « zones très denses » (comprendre les grandes villes). Il compte aussi accélérer le dégroupage en installant ses équipements dans 1.500 centraux téléphoniques (deux fois plus qu'aujourd'hui) d'ici à la fin de 2015, pour couvrir 6 millions de foyers de plus en ADSL. L'opérateur va aussi commercialiser en octobre une nouvelle Box plus puissante, sous Android, à un prix inférieur à 30 euros par mois.

Un appel à la consolidation pour faire bouger Free ou Orange ? Et si la nouvelle offre fibre était surtout un signal adressé à la concurrence ? Tout comme Free a empêché ses concurrents de vendre la 4G plus chère que la 3G en l'incluant sans surcoût dans ses forfaits en décembre, Bouygues Telecom, qui est moins sensible à une baisse des prix dans le fixe que dans le mobile, veut clairement forcer les autres opérateurs à s'aligner et les toucher au portefeuille, en particulier Free, qui utilise ses cash-flows du fixe pour financer son déploiement dans le mobile, et Orange.

« La guerre des prix dans le fixe risque de freiner les investissements dans le très haut débit. Elle va nous transformer en quasi utilities, ce qui est compliqué dans un marché très concurrentiel » avait souligné le numéro deux d'Orange, Gervais Pellissier, il y a deux semaines.

Les mouvements tarifaires et leurs effets sur le marché sont donc regardés de très près chez l'opérateur historique. « On ne va pas laisser Bouygues flinguer le marché du fixe comme un kamikaze » prévient un cadre d'Orange, même si le groupe préférerait que Free se décide à racheter Bouygues Telecom... Chez la filiale du groupe de BTP, certains prédisent que cette nouvelle salve ne sera pas sans conséquence : « au bout d'un moment, Orange craquera. Et ça peut se passer très vite » parie un proche de la direction.


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